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Enfant précoce et scolarité, le grand paradoxe

Comment expliquer que certains enfants détectés avec un haut potentiel intellectuel rencontrent des difficultés dans leur parcours de vie scolaire ? D’après les statistiques, la moitié de ces enfants précoces est confrontée à des problèmes d’apprentissage et un tiers n’arrive pas jusqu’au lycée … Les réponses du professeur Pierre Fourneret, chef du service Psychopathologie du Développement à l’hôpital Femme Mère Enfant de Bron (Rhône).

Les enfants précoces ou à haut potentiel intellectuel ont-ils tous des difficultés à l’école ?

Le « sur don » n’est pas un problème en soi. Disposer d’un haut potentiel intellectuel, c’est la perspective d’une connaissance plus approfondie des choses qui nous entourent et qui constituent notre environnement de vie. Mais c’est également avoir accès à une conscience plus aigue de notre « monde intérieur » et de la complexité des relations interpersonnelles. Tous les enfants à haut potentiel peuvent rencontrer, comme n’importe quel autre enfant, des difficultés affectives à un moment de leur vie. Mais tous n’ont pas pour autant et de façon quasi systématique (comme on voudrait parfois le faire croire) , des problèmes d’apprentissage ou des troubles psychopathologiques. Certains signes communs qui les caractérisent peuvent fragiliser certains voire les marginaliser : acuité intellectuelle, fréquence des questionnements existentiels, hypersensibilité et grande intelligence émotionnelle, etc. Mais il convient de ne pas faire de généralités et de tenir compte de la singulière complexité des parcours de chacun. Les traits développementaux de la précocité sont de nature multifactoriels. Il existe une grande hétérogénéité des profils cliniques d’enfants à haut potentiel et plusieurs configurations possibles des dispositions intellectuelles, selon les modalités de fonctionnement neuropsychologiques du sujet. Tout en s’appuyant sur un socle neurocognitif, le facteur environnemental est aussi déterminant dans la stimulation et pour le déploiement de la précocité. Se pose alors la question de la diversité conjuguée à celle de l’égalité des chances. En ce sens, le haut potentiel offre pour le scientifique que je suis, une formidable opportunité de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau ainsi que la diversité et la richesse des expériences psychiques qui y sont associées.

 Enfant précoce et niveau d’études
En quoi l’environnement est-il si déterminant dans l’épanouissement de l’enfant précoce

 

Le professeur Fourneret, pédopsychiatre à l'Hôpital FME à Bron

Le professeur Fourneret, pédopsychiatre expert en précocité ©DR
Sur le plan familial, force est de constater qu’un enfant à haut potentiel auradavantage de chance d’exprimer et d’assumer sa différence si ses parents y sont attentifs. L’enfant précoce, peut-être plus que n’importe quel autre enfant, a besoin de reconnaissance pour s’épanouir. Cela suppose dans un premier temps que l’enfant soit détecté le plus tôt possible et aussi accompagné sur le plan thérapeutique en cas de difficultés. L’ouverture d’esprit et le niveau d’études des parents semblent contribuer à stimuler l’enfant précoce dans son développement personnel. Le milieu socio-professionnel peut également jouer un rôle. Par exemple, si l’un des parents est enseignant, il sera particulièrement bien placé pour aider son enfant à s’intégrer dans le système scolaire car il en connaît les modes de fonctionnement et les codes de « bonne conduite ».

Sur le plan éducatif, le choix de l’environnement de l’enfant précoce peut aussi être déterminant. Notre système scolaire a certes évolué et reconnaît officiellement leur spécificité. Mais il existe encore des réticences de la part des chefs d’établissement et des enseignants à adapter leur pratique pédagogique à ce public particulier. Face à la pression normalisatrice de nos écoles françaises qui s’échinent à vouloir niveler – au prétexte de l’égalité d’accès au savoir – la diversité des profils psycho émotionnels et intellectuels des enfants, ceux à haut potentiel sont souvent confrontés à un dilemme : soit j’affirme ma différence et j’assume ma position (au risque d’être mal vu par certains professeurs, si je ne respecte pas les consignes à la lettre et rejeté par mes camarades) ; soit je renonce à ma spécificité et je rentre dans le rang … Cette deuxième attitude favorise le risque d’inhibition intellectuelle : l’enfant précoce peut alors déprimer s’il s’ennuie à l’école, se replier davantage sur lui-même, voire développer des troubles de l’attention et de l’anxiété.

 

QI très élevé et réussite scolaire
Y a t-il une corrélation entre le niveau de QI de l’enfant précoce et sa réussite scolaire ?

 Statistiquement « non » mais ce n’est pas aussi simple. Un enfant est considéré comme précoce lorsque son QI est supérieur ou égal à 130 (test de Wechsler). Mais si l’on peut mesurer facilement les effets de l’intelligence, il n’en est pas de même de sa nature car peu de données scientifiques sur le fonctionnement psycho-cognitif sont encore clairement validées. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce ne sont pas forcément ceux qui ont le niveau de QI le plus élevé qui ont le plus de chance de réussir dans leur parcours scolaire puis dans leur choix d’orientation professionnelle. C’est ce que j’ai pu constater en consultation et une enquête le confirme : lorsque le QI total est supérieur ou égal à 145 (avec un fort écart entre le niveau verbal et le niveau performance), l’enfant a d’autant plus de problèmes à gérer son décalage intellectuel avec son environnement. Ces enfants-là sont aussi plus exposés que les autres précoces à développer des troubles socio-émotionnels. Centrés sur eux-mêmes, certains sont dans l’évitement relationnel ou la fuite en avant. Ils sont bloqués par leur perfectionnisme exacerbé et ont tendance à procrastiner, dans le doute de trouver leur place dans une situation sociale donnée.

 

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